III, 2020/3

Valentina Sebastiani

Johann Froben, Printer of Basel

Review by: Rémi Jimenes

Authors: Valentina Sebastiani
Title: Johann Froben, Printer of Basel. A Biographical Profile and Catalogue of His Editions
Place: Leida
Publisher: Brill
Year: 2018
ISBN: 9789004360303
URL: link to the title

Reviewer Rémi Jimenes - Centre d’études supérieures de la Renaissance, Université de Tours

Citation
R. Jimenes, review of Valentina Sebastiani, Johann Froben, Printer of Basel. A Biographical Profile and Catalogue of His Editions, Leida, Brill, 2018, in: ARO, III, 2020, 3, URL https://aro-isig.fbk.eu/issues/2020/3/johann-froben-printer-of-basel-remi-jimenes/

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Ce n’est rien de le dire: le récent ouvrage de Valentina Sebastiani vient combler une importante lacune. En dressant la bibliographie détaillée des éditions publiées par Johann Froben à Bâle entre 1491 et 1527, l’autrice nous offre non seulement un «usuel» susceptible de rendre de grands services aux libraires et aux bibliothécaires, mais aussi et surtout un moyen commode d’appréhender la production de celui qui, en se faisant l’éditeur attitré d’Érasme, s’est imposé comme l’un des plus remarquables imprimeurs de la Renaissance européenne. 
Ce livre, fort de quelques 800 pages, s’ouvre sur un «profil biographique» retraçant la carrière de Froben dans un récit chronologique à la fois clair, précis et maniable, nourri de la bibliographie la plus récente et des riches fonds d’archives bâlois. 
Johann Froben naît vers 1460 à Hammelburg. Proche du libraire Johann Petri, son compatriote, il bénéficie de sa recommandation pour entrer au service du puissant Amerbach dans le courant des années 1480. Installé comme imprimeur en 1490, Froben s’associera fréquemment avec ses deux mentors. Pour mieux cerner son rôle et son action dans le milieu humaniste bâlois, Valentina Sebastiani n’hésite pas à déplacer la focale pour se concentrer sur les figure d’Amerbach et Petri, dont les activités font l’objet d’intéressants développements. 
C’est 1491 que paraît le premier ouvrage sorti des presses de Froben, la première bible latine au format in-8°. Sur le plan commercial, ce coup d’essai est d’emblée un coup de maître, comme en atteste le très grand nombre d’exemplaires conservés (275!). Pendant la première décennie de son activité, Froben bénéficie du réseau intellectuel d’Amerbach. Sebastiani rappelle notamment le rôle de l’universitaire Johann Heynlin, véritable éminence grise des presses bâloises, qui semble jouer un rôle considérable dans les choix éditoriaux de Froben et dans le contenu même de ses publications. S’il ne dispose d’aucune formation supérieure et s’il maîtrise à peine le latin, l’imprimeur se distingue néanmoins rapidement de ses confrères par les qualités matérielles de sa production: il livre des textes composés en caractères de grandes dimensions, accompagnés d’un décor gravé par les meilleurs artistes de son temps, imprimés sur le meilleur papier disponible, et qui sont en outre corrigés avec soin, accompagnés d’index et de tables précieuses, et dotés d’un apparat critique élaboré. Sebastiani rappelle qu’en misant ainsi sur la forme du livre, Froben s’adresse à un public d’humanistes dotés de revenus confortables. 
L’autrice souligne d’ailleurs l’étroite parenté de cette production avec celle d’Amerbach et de Petri, pour insister sur l’importance de leur association. Forts de nombreuses presses, soutenus par quelques-uns des esprits les plus brillants de leur temps, les «trois Jean» écoulent leur marchandise sur les réseaux européens. Les relations qu’ils entretiennent avec Anton Koberger font l’objet d’intéressants développements, Sebastiani n’hésitant pas à mettre en évidence les procédés déloyaux des Bâlois à l’encontre de leur patron nurembergeois (p. 35). 
Mais c’est véritablement après la mort d’Amerbach (décembre 1513), et en se rapprochant  d’Érasme que Johann Froben donne toute la mesure de ses compétences. À la suite d’une publication, a priori non autorisée, des Adages en 1513, le libraire bâlois parvient à attirer l’attention du prince de l’humanisme européen. Érasme s’installe à Bâle en 1514 et, à compter de 1516, Froben sera connu dans toute l’Europe comme son éditeur attitré. Cette histoire est bien connue et a fait l’objet de plusieurs publications récentes (K. Crousaz, A. Vanautgaerden ...), mais la synthèse qu’en offre Valentina Sebastiani apporte des éclairages utiles et neufs. Forte de son imposant travail bibliographique, l’autrice est en mesure de fournir des chiffres précis. 70% des 145 éditions publiées par Froben entre 1521 et 1527 sont des œuvres érasmiennes (p. 68). Les données comptables permettent de mesurer l’importance des «énormes coûts de production» (p. 70) de l’entreprise. Si le tirage des premières œuvres érasmiennes imprimées par Froben pouvait paraître élevé (1800 exemplaires pour l’Éloge de la folie en 1515, 1200 exemplaire du Nouveau Testament l’année suivante), ils paraissent bien faibles au regard de ceux que la firme atteindra dans la décennie 1520, lorsque Froben imprimera 6000 exemplaires des Paraphrases ou 3000 d’un pamphlet contre Ulrich von Hutten. Parmi les surprises que réserve la lecture, on relèvera l’hypothèse d’une possible bigamie de Johann Froben, qui paraît avoir épousé à la fois Gertrud Lachner et … la grand-mère de cette dernière (pp. 54-60)! Ainsi se trouve peut-être dévoilée l’origine des piques acerbes qu’Érasme adresse à Froben lorsqu’il l’accuse de laisser Gertrud tenir les rênes de l’entreprise. 
La synthèse biographique qu’établi Sebastiani présente un intérêt évident. On regrettera seulement que la figure d’Érasme, qui domine toute la seconde partie, tende à écraser les personnages secondaires de l’histoire. Les humanistes comme Beatus Rhenanus ou les artistes comme Holbein, collaborateurs réguliers de Froben, sont presque absents de cette enquête. On aurait également apprécié que soit abordés plus frontalement les enjeux intellectuels du catalogue de Froben, marqué par Erasme certes mais, au-delà lui, par un humanisme chrétien et patristique qui remonte aux projets de Johann Heynlin. Ces questions auraient peut-être permis de mieux identifier le public, et donc le marché, auquel se destine cette production dans une Europe troublée par les premières querelles religieuses. Mais la place manquait sans doute pour aborder ces questions, par ailleurs déjà abondamment traitées par l’historiographie.
À la suite de cette synthèse historique, la bibliographie des éditions de Froben constitue le corps principal de ce livre. Sebastiani y donne la description détaillée des quelques 329 éditions répertoriées. Outre les habituelles transcriptions (en quasi fac-similé) de la page de titre et du colophon, le relevé précis de la collation (incluant un relevé des signatures de cahiers), les localisations d’exemplaires et les références bibliographiques attendus, le catalogue fournit un certain nombre d’informations moins courantes et d’autant plus précieuses. La table des matières détaillée des éditions les plus volumineuses y est scrupuleusement relevée; les paratextes (épîtres, préface, pièces encomiastiques) y sont répertoriés; le décor gravé est inventorié sans ambiguïté et les graveurs identifiés. Il ne saurait être question ici de résumer la richesse de cet ensemble, qui constitue un remarquable outil de travail, d’autant plus performant qu’il est doté de précieux index (index nominum, index titulorum, index des lieux de conservation).
Une réserve mérite néanmoins d’être formulée, qui concerne la mise en page trop peu pratique de ce catalogue. L’ensemble des informations y est en effet composé dans un seul et même corps de caractère. La liste des exemplaires localisés se trouve ainsi placée sur le même plan que le titre de l’œuvre décrite. Le lecteur peine à hiérarchiser les données et parfois même à distinguer entre les différentes entrées. Sans doute la présentation typographique de ce volume aurait-elle mérité d’être mieux réfléchie et de se conformer aux normes habituelles.
En dépit de cette réserve, ce catalogue n’en constitue pas moins un travail impressionnant par son ampleur autant que par sa précision; il comble un vide criant, et éclaire l’un des épisodes les plus importants de l’histoire éditoriale européenne. Il ne fait donc aucun doute que le précieux ouvrage de Valentina Sebastiani s’imposera à l’avenir comme un usuel incontournable de nos bibliothèques. 
 

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